« Le CV anonyme est inefficace et insultant pour les DRH » : 3 questions à Jean-Paul CHARLEZ, président national de l’ANDRH

"Le CV anonyme est inefficace et insultant pour les DRH" (3 questions à Jean-Paul Charlez, président de l'ANDRH)

Par Fabien Claire – Paris, le 12/01/2015

 www.aef.info   Autorisation de reprise de l’interview sur le site de l’ANDRH (www.andrh.fr)

Tout en saluant "la richesse que constitue la diversité en entreprise", Jean-Paul Charlez, nouveau président de l’ANDRH, conteste la mise en place du CV anonyme. "Une mauvaise idée obsolète et inefficace", selon le DGRH du Groupe Etam, "à l’heure du développement des réseaux sociaux professionnels, tout sauf anonymes". L’ANDRH pointe également les difficultés opérationnelles : comment, par exemple, "faire disparaître toute marque du genre dans la présentation des expériences ?" L’ANDRH plaide pour la mise en place d’indicateurs, au sein des entreprises, en concertation avec les partenaires sociaux. Cette prise de position intervient alors que le groupe de dialogue sur la lutte contre les discriminations, présidé par Jean-Christophe Sciberras, ancien président de l’ANDRH, a reporté la remise de ses conclusions sur la mise en œuvre du CV anonyme, faute de consensus (lire sur AEF).

AEF : Quelle est la position de l’ANDRH sur le CV anonyme pour lequel les décrets d’application n’ont toujours pas été publiés, malgré la condamnation de l’État pas le Conseil d’État ?

Jean-Paul Charlez : Tout d’abord, nous sommes évidemment tous convaincus, au sein du bureau national de l’ANDRH, que la diversité est une richesse majeure dont nous ne pouvons pas nous passer dans nos entreprises. Toute discrimination est une régression. Ceci étant dit, le CV anonyme est une mauvaise idée. C’est une protection obsolète contre un risque hypothétique de discrimination, notamment car elle intervient à l’heure où se développent les recrutements via les réseaux sociaux, dans lesquels les profils sont tout sauf anonymes. C’est également une forme d’hypocrisie, car après la sélection du CV, qui peut être anonyme, l’anonymat n’est plus possible lors des entretiens de recrutement, lors de la signature du contrat de travail et bien évidemment lors de la période d’essai qui suit le recrutement. Enfin, le CV anonyme me semble relever du procès d’intention adressé à l’ensemble des professionnels de la fonction RH. Je trouve insultant pour ces derniers de considérer qu’il faille rendre anonymes les candidatures afin d’éviter une supposée tentation de discrimination. Pour le professionnel des ressources humaines, le seul enjeu c’est de recruter les meilleures compétences pour occuper une fonction déterminée. C’est la réalité de notre métier.

AEF : Toutefois le CV anonyme figure aujourd’hui dans le code du travail… Son objet n’était-il pas plutôt de garantir l’équité du process de recrutement dans l’ensemble des strates de l’entreprise ?

Jean-Paul Charlez : Certes, le CV anonyme a été introduit dans le code du travail par la loi du 31 mars 2006, mais lorsque la loi n’est pas bonne, elle peut toujours être changée. La mesure a été introduite par un amendement sénatorial au cours de la navette parlementaire et les difficultés à obtenir un consensus pour sa mise en œuvre illustrent les problèmes opérationnels posés. Par exemple : comment supprimer toutes les marques du genre dans le descriptif des expériences professionnelles figurant dans le CV ? Comment intégrer la discrimination positive du handicap avec le CV anonyme ? Aussi, fidèles à notre doctrine au sein du bureau national de l’ANDRH, nous préférons faire primer le réel sur l’institutionnel. Sur le CV anonyme, nous retenons les inconvénients liés à la mise en œuvre opérationnelle et au procès d’intention dont témoigne la mesure, plutôt que la volonté institutionnelle d’un anonymat illusoire. Je note également que la plupart des entreprises qui ont testé le CV anonyme, je pense par exemple à Axa, semblent avoir fini par l’abandonner. S’agissant de la volonté d’assurer l’équité du processus de recrutement, elle relève de la responsabilité du DRH. C’est lui qui pose les pratiques en termes de gouvernance RH et transmet les valeurs à partager dans l’entreprise. Si un responsable hiérarchique passe outre la ligne blanche, notamment sur un sujet lié à la diversité, c’est au DRH qu’il appartient d’agir et son action me semble bien plus efficace que toute prescription légale ou réglementaire difficile à appliquer et inefficace.

AEF : Selon vous, comment peut être abordé le sujet de l’équité et de la non-discrimination dans le traitement des candidatures ?

Jean-Paul Charlez : Je ne crois pas dans la mise en place de voies de recours externes à l’entreprise. L’acte de recrutement reste une décision de l’employeur ou de son représentant. En revanche, je comprends la tentation naturelle, pour un candidat non retenu, de suspecter une discrimination dans l’acte de sélection. Le suivi des recrutements est un sujet d’entreprise qui se pose à la direction, à l’entreprise et à ses partenaires sociaux. Pourquoi ne pas mettre en place des indicateurs, à définir avec les partenaires sociaux, dans chaque entreprise, afin de suivre les choses dans le temps ? Chez Etam, par exemple, nous recrutons très majoritairement des femmes, et nous comptons plus de 50 nationalités dans le groupe à ce jour. L’enjeu pour moi était de m’assurer que les candidatures masculines, bien que plus rares, ne fassent pas l’objet d’un traitement discriminant. Aussi nous avons décidé d’insérer dans notre bilan social annuel l’indicateur que constituent les taux de réponses positives aux candidatures féminines et masculines. Il s’agit d’indicateurs objectifs qui permettent un suivi dans notre contexte d’entreprise. Ce n’est bien sûr qu’un exemple, mais qui traduit une réalité de terrain.