« Les managers du bonheur arrivent dans les entreprises »

De plus en plus d'entreprises recrutent aujourd'hui des happiness managers. Le but d'un tel poste? Veiller à ce que chacun soit heureux au travail. Les explications de notre contributeur Philippe Laurent, coach et spécialiste du bonheur au travail.

Ça y est, la fonction de Happiness Manager [manager du bonheur] existe en entreprise, ainsi que celle de Chief Happiness Officer! C'est une bonne nouvelle d'apprendre qu'après le souci de la Qualité de Vie au Travail (QVT) et l'attention portée aux risques psychosociaux (RPS), le sujet du bonheur au travail est pris au sérieux au plus haut niveau de la hiérarchie, y compris dans des grands groupes internationaux. 

Ne pas en profiter pour en demander toujours plus

Le bonheur au travail des employés est devenu un enjeu majeur d'entreprise pour ne plus être un problème: problème pour les individus qui souffrent dans et par leur travail; problème pour les équipes qui ne respirent plus l'oxygène d'une bonne ambiance et ne sont plus capables de créer des synergies positives; problème enfin pour l'entreprise dans son ensemble quand sa performance économique n'est possible qu'en tirant sans réserve sur les prix, les coûts, les équipes et les hommes. 

Comme si la personne reprenait enfin la place qu'elle ne devrait jamais quitter: le coeur et le sommet de l'entreprise. 

Si l'entreprise a raison de créer cette fonction "humanisante", elle doit veiller à ne pas brandir le bonheur comme la nouvelle valeurs forte sur laquelle il convient de communiquer pour demander encore plus aux personnes. Car mettre cet enjeu au service d'une plus grande performance, c'est comme faire croire à quelqu'un qu'on l'aime pour mieux s'en servir: c'est de la manipulation. Il appartient justement au happiness manager de veiller à ce que les valeurs affichées, et parmi elles le bonheur des employés, ne soient pas juste des mots, mais qu'elles soient réellement incarnées, surtout par ceux qui se doivent d'être exemplaires, les managers. 

Remettre en question les modes de fonctionnement habituels

En quoi peut donc consister le travail d'un happiness manager? Quels sont les critères de réussite dans sa fonction? Plusieurs conditions me paraissent indispensables. La première, qu'il soit convaincu qu'il ne peut pas faire ce travail seul et qu'il doit constituer un groupe de travail intégrant des représentants de toute l'organisation, y compris des partenaires sociaux. 

La deuxième, que le dirigeant de l'entreprise soit convaincu de son importance et qu'il soit prêt à remettre en question des modes de fonctionnement habituels, y compris les siens. Créer une fonction comme celle-là est une intention délibérée de la direction et doit être présentée comme telle à l'ensemble du personnel, comme ouvrant un chantier majeur dans l'organisation. 

Ensuite, il est nécessaire que le happiness manager qui a été choisi soit lui-même heureux d'exercer cette fonction dans son entreprise, qu'il aime échanger, écouter et qu'il le fasse avec une bienveillance authentique, lucide et non complaisante. Mais aussi, il faut qu'une fois le chantier ouvert, chaque employé puisse librement s'exprimer sur ce qui contribue à son bonheur ou l'affecte. 

Le happiness manager ne doit pas venir avec ses idées toutes faites qui viendraient comme panser des plaies sans les soigner. Il doit commencer par faire un état des lieux des ressentis individuels et collectifs, prendre note des dysfonctionnements chroniques qui peuvent plomber les meilleures ambiances et épuiser les plus engagés. Il faut qu'il puisse remonter les éléments de son diagnostic en Comité de direction pour amorcer la transformation nécessaire à tous les niveaux, à commencer par celui des managers. Dernière condition enfin: il faut que les employés voient les actions menées, qu'ils soient impliqués dans leur mise en oeuvre et qu'ils en mesurent par eux-mêmes les bénéfices. 

Laisser la parole aux personnes concernées

L'entreprise peut faire beaucoup pour favoriser les conditions du bonheur de ses employés à condition de laisser la parole à ceux qui sont au plus près du terrain: les ouvriers de la production, les vendeurs, les acheteurs, les logisticiens, etc. A la fois pour qu'ils disent les dysfonctionnements qu'ils constatent et dont ils souffrent tous les jours, aussi pour qu'ils expriment ce qu'ils attendent de leurs managers et dirigeants, enfin pour qu'ils puissent proposer des idées concrètes pour améliorer leurs conditions matérielles et la coopération en général. 

Le happiness manager doit observer comment les individus se sentent et comment les managers se comportent. Il doit savoir comment font les autres entreprises qui ont des bons résultats dans le domaine, s'appuyer sur le travail des think-tank, des chercheurs. Il doit également former les managers pour qu'ils adoptent les postures qui font du bien; les accompagner dans la mise en application de ces nouvelles manières de manager qui laissent de la liberté d'action, de parole et d'initiative afin de passer plus de temps à accompagner qu'à contrôler. Cela passe par une remise en question des anciens processus pour s'assurer qu'ils ont encore du sens. Enfin, il doit donner plus de temps aux employés pour faire leur travail et pour innover plutôt que de rapporter ce qu'ils font à leurs supérieurs. En résumé, c'est un job passionnant.

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