Ce qui pourrait donner des sueurs froides aux DRH en 2013

Edition du 11/01/2013   Les Echos Business

Insuffisamment encadrés, les réseaux sociaux peuvent entacher la réputation d'une entreprise. Banalisé, le nomadisme professionnel risque de mettre à mal la confidentialité des échanges. 

Usages incontrôlés des nouvelles technologies, multiplication des risques juridiques et psychosociaux, nomadisme professionnel mal maîtrisé, autant d'items que les directeurs des ressources humaines (DRH) ne devront pas sousestimer cette année.

 

LES RESEAUX SOCIAUX

Sur Facebook, il est courant de se répandre sur ses collègues, son entreprise, voire ses supérieurs, et rarement pour en dire du bien ! Alten en a fait l'expérience : trois salariés y ont dénigré leur hiérarchie, ce qui leur a valu d'être licenciés. Formidable ressource en termes de communication et de visibilité pour l'entreprise, les réseaux sociaux représentent une source de risque : selon une étude réalisée par Proskauer auprès de 130 entreprises internationales, la moitié d'entre elles ont dû faire face à un usage abusif par des salariés, ou plus grave par d'anciens collaborateurs ! Selon le cabinet d'avocats, un tiers des entreprises ont pris des mesures disciplinaires pour des propos injurieux envers la hiérarchie, tenus auprès de leurs « amis ».

Aux DRH, confrontés en France à des jurisprudences privilégiant parfois le droit à l'expression du salarié au détriment de la réputation de l'entreprise, Cécile Martin, « international counsel » au sein du département droit social de Proskauer et coordonnatrice de l'étude, recommande a minima la rédaction d'une charte informatique spécifique : « Celle-ci peut inclure une procédure concernant la création et la gestion de comptes Twitter associés au nom de l'entreprise, le verrouillage des droits d'accès du salarié après son départ, mais aussi l'installation de systèmes de surveillance, en conformité avec les lois sur la protection de la vie privée. » L'avocate invite aussi les responsables RH à la prudence : « Utiliser des informations provenant d'un compte Facebook pour évaluer un candidat à l'emploi peut être assimilé à de la discrimination à l'embauche. » En France, le cabinet constate le défaut de charte de bonne conduite : « La sensibilisation des salariés aux risques est inexistante », regrette Yasmine Tarasewicsz, responsable du département droit social.

LE NOMADISME

60 % du temps, les bureaux sont vides : les collaborateurs travaillent chez eux ou chez un client. Pour les DRH, qui ne sont pas toujours aptes à localiser ces salariés, la gestion de ces formes d'organisation est un casse-tête, d'autant que le phénomène devrait s'accentuer avec 98 % de jeunes diplômés souhaitant une libre organisation (étude Deloitte).

Le sociologue Xavier Baron , par ailleurs ancien DRH, décode cette équation complexe : « L'entreprise est plus ouverte que jamais : les collaborateurs sortent à la rencontre des gens avec lesquels ils peuvent coopérer et échappent juridiquement aux DRH, dépassés par cette forme de nomadisme, qui s'accroît car l'économie se 'servicialise' avec une déstructuration du temps de travail. » Paradoxalement, selon l'auteur de « La Performance collective » (Editions Liaisons), le nomadisme implique un accompagnement renforcé des individus : « Plus la production devient immatérielle, plus la notion de travail collectif doit être renforcée car la performance intellectuelle ne peut être que collective et implique des temps de proximité physique. La raison d'être d'une entreprise est d'installer des coopérations. » Et cela est vrai pour toutes les tailles de sociétés. Selon une enquête réalisée par Ipsos pour SFR Business Team, les trois quarts des PME gèrent des collaborateurs nomades, procurant des sueurs froides aux responsables informatiques : outre le devoir d'accessibilité des réseaux et la synchronisation permanente des données échangées, ils doivent veiller à leur protection et à la confidentialité sur des réseaux non sécurisés à l'extérieur de l'entreprise.

LE REAMENAGEMENT DES ESPACES DE TRAVAIL

Second poste de dépenses des entreprises, juste derrière la masse salariale, le foncier est un levier d'économie actif en période de crise. Déménager permet de s'éloigner des centres-villes coûteux, de réduire les surfaces, de réorganiser le travail, voire les trois, ce qui fait sa mauvaise réputation. En 2009, le transfert de Dell de Rueil à Saint-Denis a soulevé une telle vague de mécontentement que la DRH a généralisé le télétravail. Deux ans plus tard, le regroupement des sites d'Atos Origin à Bezons (Val-d'Oise) a suscité l'ire des syndicats. Selon Gilles Betthaeuser, président d'AOS Studley, en charge de ce projet, celui-ci est pourtant un modèle du genre : « La réorganisation des espaces de travail est allée de pair avec une réflexion autour des modèles managériaux et une refonte des processus comme, par exemple, le développement du télétravail, et ce jusqu'à la propre assistante de Thierry Breton. » Le changement, c'est précisément ce qui terrorise les salariés, et donc les DRH. Selon Alexis Motte, président de Mobilitis, son impact psychologique est sous-estimé : « Les entreprises trébuchent en raison d'un déficit d'explication autour d'un événement largement anxiogène. » Le conseil en immobilier d'entreprise rappelle que les DRH ont tous les outils pour adoucir le choc : « C'en est fini des plateaux de 70 personnes ! Les 'open spaces' fondent, s'améliorent, avec un soin porté à l'acoustique. »

L'ARSENAL JURIDIQUE

Exaspérés par la multiplication des plans sociaux engagés par des groupes en bonne santé, les comités d'entreprise s'organisent, s'allient à des ténors du barreau et montent au front pour contester les motifs. C'est ainsi qu'en 2010 ceux de Sodimedical et d'Ethicon ont obtenu des juges l'annulation des plans sociaux prévus, deux jurisprudences qui ont marqué les DRH… En mai dernier, les milieux patronaux ont donc guetté avec angoisse le verdict de la Cour de cassation dans l'affaire Viveo : la haute juridiction allait-elle suivre la cour d'appel de Paris, qui, en 2011, a annulé le projet de plan social de l'éditeur de logiciels ? A leur plus grand soulagement, la Cour de cassation a invalidé cet arrêt, au motif que le juge ne peut annuler des licenciements économiques que dans deux cas : le non-respect de la procédure de consultation des représentants du personnel ou l'insuffisance des mesures d'accompagnement du PSE. L'absence de motif économique n'est pas recevable. «  Interdire une restructuration reviendrait à geler le marché du travail et les investissements en France. Les entreprises sont soulagées de ne pas être soumises à une sorte d'autorisation judiciaire préalable. De fait, elles soignent davantage le contenu des plans sociaux », éclaire Stéphane Béal, directeur du département droit social de Fidal, qui regrette la complexification constante du Code du travail.

Une étude réalisée par l'Essca, Ecole de management à Paris et Bodet Software enfonce le clou : interrogés sur les contraintes pesant sur la fonction RH, les responsables citent unanimement l'évolution constante des législations sur le travail juste derrière la réduction des coûts. Gilles Verrier, consultant, regrette ce mal spécifiquement français : «  L'agenda des DRH est écrit par le législateur, qui les contraint à enchaîner les négociations. Résultat : tous les sujets – comme par exemple les seniors -sont envisagés sous l'angle des risques juridiques et non plus des opportunités. »

MARIE-SOPHIE RAMSPACHER